Alors, Bahiya, il faut t'entraîner ainsi:
Dans ce qui est vu, il n'y aura que ce qui est vu;
Dans ce qui est entendu, que ce qui est entendu;
Dans ce qui est ressenti, que ce qui est ressenti;
Dans ce qui est connu, que ce qui est connu.
Sutta BĀHIYA
Dans cet article, les citations de nos Maîtres seront écrites en italiques et celles des résultats de recherches des scientifiques en marron.
Arrivé aux États-Unis en 1992, le Maître a d'abord vécu à Seattle, dans l'État de Washington. Au milieu de l'année suivante, il a eu l'occasion d'aller à la bibliothèque de la Faculté de Médecine de Seattle et de lire un article du magazine Scientific American décrivant l'aire de la vision naturelle et l'aire de l'audition naturelle situées à l'arrière de l'hémisphère gauche du cerveau. Les images étaient prises avec un appareil TEP (tomographie par émission de positons).
Image A. Images présentées par le Maître dans ses cours
À cette époque, le Maître espérait pouvoir un jour prendre en photo les deux autres natures : la Nature du Toucher et la Nature de la Conscience, afin de compléter pleinement les 4 Natures décrites par le Bouddha dans le Sutra Bāhiya. (1) (2).
Dans le passé, nous avons entendu le Maître prêcher sur la Vue naturelle et sur l'Audition naturelle mentionnées dans le magazine Scientific American. Il nous a également montré ces images qui ont été reprises par le magazine National Geographic de 1995 (Image A). Et ce n'est que bien plus tard, après le décès du Maître, que je me suis demandé : qu'est-ce que les scientifiques ont découvert pour que le Maître les voyait comme les aires de la Vue et de l'Audition naturelles enseignées par le Bouddha dans le Sutra Bāhiya ?
Dans l'article du magazine National Geographic de juin 1995 (comme le montre l'image prise par le Maître), il n'y avait en réalité que des images sans aucune légende ou explication explicites (image B).
Image B. Illustration du magazine National Geographic de juin 1995
Grâce au nom du chercheur mentionné dans l’article du magazine, nous avons pu retrouver plus tard cette étude, publiée en 1988, dans laquelle des scientifiques utilisaient une « tomographie par émission de positons » (TEP ou PET en anglais) pour photographier les zones actives du cerveau. Dans cette étude, les participants regardaient passivement des mots sur un écran. Il écoutaient des mots passivement. Et ils les prononçaient à voix haute ou réfléchissaient à les lier avec un autre. Ces images peuvent être considérées comme les premières images TEP du cerveau humain exécutant un processus cognitif complexe (3).
Pour comprendre ce que les scientifiques (3) ont découvert et pourquoi le Maître a fait le lien avec les aires de la Vue et de l'Audition naturelles évoquées par le Bouddha dans le Bāhiya Sutta, passons en revue cette étude.
Image C: (a) Regarder passivement les mots sur un écran. (b) Ecouter les mots de manière passive.
Méthodes de recherche :
Alors que les participants regardaient passivement les mots sur l'écran (a) ou les entendaient passivement (b) (figure C), il y a dans cette tâche purement sensorielle, aucune verbalisation du mot et ne nécessitant aucune production motrice (prononciation). Il existe non plus aucun traitement lexical conscient.
(a) Pour la modalité visuelle (a, figure C), les principales activations significatives du cortex sont localisées dans le striatum (cortex strié), avec une petite partie située dans les zones antérieures (cortex extrastrié) à la limite temporal-occipitale. Ces aires permettent la perception visuelle. L'aire corticale visuelle primaire (également connue sous le nom de cortex strié ou V1) a été découverte comme centre visuel au début du 19e siècle. Le centre visuel primaire traite l'information visuelle. Les sens proviennent de la rétine de l'œil (5•6). Cependant, les zones du cortex occipital adjacentes au cortex visuel primaire (cortex extrastrié) ne sont activées que lorsqu'un mot est vu. Une fois le mot vu, il sera reconnu par un réseau de calcul coopératif selon les caractéristiques, les lettres et les mots. Les multiples zones activées (cortex strié et cortex extrastrié) peuvent représenter différents niveaux d'un tel réseau.
(b) Pour le traitement auditif (b, figure C), les zones actives se trouvent bilatéralement dans le cortex auditif primaire, responsable de l'interprétation de la fréquence et de l'intensité sonore, et à gauche dans le cortex temporopariétal et le cortex antérieur temporal supérieur. Les régions temporales temporopariétales et antéro-supérieures ne sont pas activées lorsque les stimuli auditifs ne sont pas des mots. C'est une région importante pour le codage phonologique.
Ainsi, lorsque les participants se contentent de regarder les mots projetés sur l'écran ou d'écouter les mots à travers les écouteurs dans leurs oreilles, lorsqu'ils se contentent de voir ou d'écouter passivement les mots, sans prononcer verbalement et sans interpréter, les aires visuelles ou auditives du cerveau s'activeront pour juste transformer les informations provenant des yeux ou des oreilles en première lueur de connaissance sur l'objet. A ce moment, il n'y a pas encore dans le mental de formation de réseaux d'associations, d'idées... sur ces mots. Ce résultat correspond aux enseignements du Bouddha : Dans ce qui est vu, il n'y aura que ce qui est vu; Dans ce qui est entendu, que ce qui est entendu; (1). Bien que les centres visuels ou auditifs aient déjà été connus, les scientifiques peuvent aujourd'hui localiser avec précision ces centres grâce à la méthode PET, et étudier leurs fonctions. Ce qui est intéressant ici, c'est le fait que le Maître a fait le lien entre l'enseignement du Bouddha sur la Vue naturelle et sur l'Audition naturelle et la localisation de ces centres visuels et auditifs découverts par les scientifiques. Ceci démontre son incroyable intuition, en faisant le lien entre les enseignements de Bouddha et les découvertes de la neuro-science.
Le Bouddha a également enseigné "Dans ce qui est connu, il n'y a que ce qui est connu". Mais cette étude ne l'a pas mentionné. C'est probablement la raison pour laquelle le Maître souhaitait mener une étude à travers l’imagerie de son propre cerveau et d'*emprunter la science occidentale pour découvrir l'aire de la Cognition et de l'aire du Toucher naturelle dans le cortex cérébral? Comment les «3 Natures s'ouvrent-elles simultanément» et apparaissent-elles dans le triangle de 3 lobes occipital, temporal et pariétal, lorsque nous pratiquons la méditation? * ([^ 2])
Les conditions favorables étant réunies, un programme de recherche pour photographier le cerveau de Maître a pu être réalisé à Tuebingen de 2007 à 2013. Le rêve de prouver les 4 natures (la Vision naturelle, l'Audition naturelle, le Toucher naturelle et la Cognition) enseignées par le Bouddha à Bāhiya est enfin réalisé (figure d).
Image D. Les 4 Natures s'illuminent simultanément
Revenons à l'étude :
Image E. Les participants lisent à haute voix les mots
(c). les participants prononçaient chaque mot (Image E) : lorsque des mots répétés étaient prononcés à haute voix, les zones impliquées dans la production motrice et le codage articulatoire étaient activées. De manière générale, pour les représentations visuelles et auditives, les mêmes zones ont été activées, la principale comprenant la représentation buccale du cortex moteur primaire.
Image F. Chemin emprunté dans le cerveau lorsque nous nommons un objet
Ainsi, des chemins dans le cerveau se forment lorsque l'on voit ou entend des objets (ici, des mots). Les signaux sensoriels vont entrer au centre du cortex visuel ou auditif. Très vite,s ils vont se diriger vers d'autres zones (aires de Wernicke, de Broca) pour être reconnus, décodés dans le cerveau puis parlé (cortex moteur primaire, pour bouger la bouche et la langue) (image F 7). Par conséquent, nous avons souvent des difficultés à pratiquer la technique "Ne pas nommer les objets", en raison de notre habitude d'identifier les objets lorsque nos sens entrent en contact avec eux. Ce qui conduit à emprunter trop de fois le chemin de « nommage » dans le cerveau. Ce chemin est devenu une piste bien fréquentée et les signaux ne s'arrêtent plus aux centres sensoriels mais sont automatiquement transmis rapidement aux aires frontales du cerveau afin que nous puissions parler de l'objet.
Image G. Les participants prononcent le verbe correspondant au nom qui apparaît sur l'écran
Image H. Les chemins dans le cerveau qui relient les centres sensoriels à la région préfrontale.
La figure H (8) montre que les signaux sensoriels peuvent également être transmis aux régions du cortex associatif préfrontal dans la région préfrontale pour des pensées complexes et logiques 9.
Ainsi, ces centres sensoriels nous aident à avoir une première connaissance purement objective de l'objet lorsqu'un sens entre en contact avec lui, créant une première lueur de connaissance de l'objet, sans qu'il y ait encore de processus de liaison avec l'objet, comme nommer ou penser. Cette fonction correspond donc à la bouddhéité. Dans la bouddhéité, il n'y a pas de pensée. C'est reconnaître clairement sans être attaché à l'objet. Sa caractéristique est la connaissance non verbale. Elle correspond également à l'enseignement du Bouddha dans le sutra Bāhiya. Lorsque les signaux se trouvent dans les zones de la perception sensorielle de la Vue, de l'Audition et du Toucher, la Bouddhéité apparaît. Par contre, lorsque les signaux sont transmis à la zone cérébrale antérieure, le processus de liaison avec l'objet (comme nommer ou penser) se mettra en marche. En somme, s'il y a de la pensée, la bouddhéité ne sera pas présente. Si la bouddhéité est présente, il n'y aura plus de pensée. (10)
Dans un cerveau humain normal, ces aires sensorielles fonctionnent en continu pour recevoir des signaux des sens, les synthétiser et les relier. C'est grâce à cela que nous pouvons nous tenir debout et marcher tout en continuant à penser à autres choses. Chacun de nous a la bouddhéité, mais elle ne se manifeste souvent pas car nous ne réalisons pas que nous avons déjà cette connaissance. Nous n'y faisons pas attention et nous laissons les autres pensées nous entraîner (11). C'est comme quand nous conduisons, nous savons que nous sommes là, mais dans notre tête, nous pensons toujours à autres choses; nous savons comment laver les légumes et la vaisselle, mais nous continuons à murmurer sans fin; nous marchons silencieusement dans la méditation, mais nos murmures sont toujours en mouvement... Ainsi, la bouddhéité ne se manifeste pas parce qu'elle est voilée par des nuages d'ignorance et d'illusion; ou "le soleil de la sagesse (bouddhéité) ne se manifeste que lorsque les nuages d'ignorance et d'illusion seront dissipés par l'arrêt de la pensée, la réflexion, la pensée analytique et la pensée discursive". (12).
Les pratiques telles que le "Balayage du regard" (13) nous aident à connaître la première lueur de la Connaissance. Dans cet instant là, il y a une Connaissance immédiate appelée Conscience de la Vue, ou la Vue naturelle. Elle nous aide à reconnaître l'état de tranquillité mentale vide, à connaître clairement sans murmurer. On peut dire que c'est le chemin vers la Racine (la Bouddhéité) car elle mène directement vers les aires centrales sensorielles qui font apparaître la Bouddhéité.
Bien que ce chemin soit simple et direct, il n’est pas facilement accessible pour le Mental ordinaire. Pourquoi? Parce que notre Mental a plein d'attachements : pendant que nous sommes en contact avec un objet, nous ne faisons pas attention à l’objet mais nous nous parlons dans notre tête. Ce murmure intérieur dans notre cerveau est tellement fort qu'il fait passer les signaux de l’objet par le chemin qui va directement à la région frontale. Ce chemin “d'attachement” ne passe pas par les centres sensoriels. Il ne passe pas par la Racine “Bouddhéité” mais suit un autre chemin pour atteindre la région frontale. Le Bouddha a expliqué ce parcours du Mental ordinaire dans le sutta des Cinq agrégats (la Forme, la Sensation, la Perception, la Formation mentale, la Conscience). D'autre part, le Mental ordinaire travaille sans arrêt. Il ne s'arrête jamais de penser à ceci ou cela. Il ne fait plus attention aux objets sensoriels. C’est pourquoi il est très difficile d’avoir l’expérience de la première lueur de la Connaissance.
En outre, en raison de notre habitude de murmurer sans arrêt sur les objets lorsque nos sens entrent en contact avec eux, le chemin vers les aires du cortex préfrontal (figure H) est tellememt emprunté qu'il laisse de profonds sillons. Les signaux ne s'arrêtent plus dans les aires sensorielles. Ils sont automatiquement transmis rapidement aux aires cérébrales antérieures, rendant la première lueur trop courte et imprécise pour être reconnaissable. Ou même si nous la remarquons, cette première lueur est difficile à devenir une conscience continue. C'est pourquoi la bouddhéité ne peut pas être présente en permanence même si elle apparaît de temps à autre.
Un autre point très important est que la conscience sensorielle non verbale ne reste dans la mémoire sensorielle que très brièvement, de l'ordre quelques millisecondes à quelques secondes. Pour être enregistrée à long terme dans la mémoire de l'aire de la Cognition non verbale ou du Précuneus, il nécessite une pratique et une répétition de nombreuses fois pour que la conscience devienne une réalité claire dans l'esprit, puis cette conscience se développera au fur et à mesure en une Cognition (14). Le précuneus est un noyau cérébral. Sa fonction est de relier les stations de réception (gyrus cingulaire, hypothalamus et thalamus) pour créer un réseau silencieux de toutes les zones de décision dans le cerveau et le cervelet (15). C'est pourquoi, l'ancrage dans le précuneus est très important : une condition nécessaire pour que la Bouddhéité puisse être exprimée en permanence afin de vivre constamment en elle.
Minh Tuyền,
Octobre 2023
Source : Tánh Giác (Buddhitā), Minh Tuyền
Traduit par Nhất Hòa, relu par Hồng Thuý
Sutta BĀHIYA (Udāna 1.10). Dans le sutta Bāhiya, le Bouddha enseigne à l'ascète Bahiya comment accéder à la Boudhéité en pratiquant la vision naturelle, l'audition naturelle, le toucher naturel et la cognition non verbale. Ce sutta est extrait du Udana 1.10 (Collection des Suttas mineurs en Pali). Dans le sutta Bāhiya, le Bouddha enseigne : "Dans ce qui est vu, il n'y aura que ce qui est vu; Dans ce qui est entendu, que ce qui est entendu; Dans ce qui est ressenti, que ce qui est ressenti; Dans ce qui est connu, que ce qui est connu". Cela veut dire que nous devons reconnaître en nous les 4 natures composant la Bouddhéité. “Dans ce qui est vu, il n'y a que ce qui est vu” : Lors du contact avec un object, il n'y a que la Vue naturelle en jeu, sans intervention du "Moi". Si le “Moi” est présent alors la Vue ne sera plus objective, ne sera plus telle quelle. Ce sera “je vois”. La Vue sera alors interférée par “le Moi”. "Dans ce qui est entendu, que ce qui est entendu" : Ceci est l'audition de la Bouddhéité. Pendant l'écoute, nous ne faisons qu'écouter sans chercher à interpréter le son. "Dans ce qui est ressenti, que ce qui est ressenti" : C'est le ressenti du Toucher naturel, sans aucune interprétation. "Dans ce qui est connu, que ce qui est connu" : Lorsque nous prenons conscience de quelque chose, le Bouddha nous dit de conserver cet état de cognition sans parole et de ne pas y ajouter d'autre contenu. Ceci est la cognition "nue" ou pure sur un objet. “Alors, Bahiya, il n'y a pas de «Toi» en termes de cela. Ceci veut dire qu'il n'y a pas le Soi ou le Moi en cet endroit. Car cet endroit n'est qu'un état de tacite connaissance objective de la Boudhéité dans lequel le "Moi" est absent. Quand il n'y a pas de «Toi» là, tu n'es ni ici, ni là-bas, ni entre les deux. Ceci, juste ceci, est la fin de la souffrance : le Bouddha veut dire que si Bāhiya arrive à parvenir à ces 4 états, il sera immédiatement "libéré" dans cette vie même. Il sera complètement éveillé et libéré du "Moi", entrant au Nirvana de son vivant, devenant ainsi un Arhat, libéré du cycle de renaissance. Sutta Bāhiya (vn), Vénérable Thích Thông Triệt. ↩↩
Zen in the Light of Science, Vénérable Thích Thông Triệt, 2013 (en) ↩
Positron emission tomographic studies of the cortical anatomy of single-word processing, S E Petersen, P T Fox, M I Posner, M Mintun, M E Raichle, Nature · March 1988. ↩↩
Langue et latéralisation, iliana-sharpe (de) ↩
Mapping human visual cortex with positron emission tomography, Peter T. Fox, Mark A. Mintun, Marcus E. Raichle, Francis M. Miezin, John M. Allman & David C. Van Essen , Nature volume 323, pages806–809 (1986) ↩
Retinotopic Organization of Human Visual Cortex Mapped with Positron-Emission Tomography, Peter T. Fox, Francis M. Miezin, John M. Allman, David C. Van Essen and Marcus E. Raichlei, The Journal of Neuroscience, March 1987, 7(3): 913-922 ↩
Higher-Order Cortical Representations. Purves, D., Augustine, G. J., Fitzpatrick, D., Katz, L. C., LaMantia, A.-S., McNamara, J. O., and Williams, S. M. (2001). ↩
Kỹ Thuật thực hành, HT Thích Thông Triệt (vn) ↩
Bài đọc thêm: Định là gì? HT Thích Thông Triệt. ↩
D’où vient la Bouddhéité ?, Vénérable Thích Thông Triệt ↩
Không gì đơn giản bằng, Ni Sư Triệt Như: ↩
Precuneus et la mémoire, Minh Tuyền (vn) ↩
Document sur les techniques de pratique menant au Mental Tathà, Vénérable Thích Thông Triệt, 2013. ↩
Auteur : Minh Tuyền
Publié le : 16-11-2023 - 22:33